de Marie Borrelli

« Isabelle regarde son fils de six ans. En ce moment, Sébastien est Zorro, cela veut dire, dans son langage à lui, qu’en ce moment, il fait le méchant. Pourtant, sa mère lui a bien expliqué, Zorro est un gentil, il se bat contre les vilains, défend la v«euve et l’orphelin. Sébastien s’en moque, sous son masque, vêtu de sa cape et de son épée, il se sent autre. Il peut crier, sauter dans tous les coins, dire des gros mots. Il a le droit, il est Zorro alors tout compte pour du beurre et puis ça ne dure pas. Car dès qu’il enlève son masque, Isabelle retrouve son poussin d’amour.

Dans son habit de Zorro, Sébastien a l’air si content alors pourquoi lui interdire de faire un peu le fou, de se défouler ? Avant, il y a cinq ans, lorsqu’elle était encore avec son père, Isabelle n’aurait certainement pas permis un tel charivari mais maintenant, elle voit si peu son fils, tous les quinze jours et la moitié des vacances scolaires, qu’elle a tendance à être beaucoup plus tolérante voire un rien laxiste.

Maman, elle me laisse toujours faire tout ce que je veux, enfin presque. Quand je pousse le bouchon trop loin comme elle dit, elle prend un air avec des yeux de poisson et je sais que j’ai intérêt à me calmer sinon ça va chauffer, ça aussi c’est encore une de ses expressions. Les adultes, ils ont une façon bizarre de parler, il y a toujours plein de phrases pour dire plein de choses qu’ils répètent tout le temps.

Maman est prof de maths à la faculté et elle parle pas du tout comme Monsieur Poinçon, mon maître. Lui, il fait des phrases où, si tu fais pas ce qu’il te dit, tu as une punition. Tandis que maman, c’est comme papa, ils répètent toujours les mêmes choses et moi, je commence à les connaître par cœur leurs phrases et je ne suis pas sourd même si chaque fois qu’on est dehors, j’ai toujours envie d’aller faire pipi. Alors maman elle dit :

– Tu aurais dû y penser avant ! Quand on n’a pas de tête, on n’a pas de jambes !

Mais avant je ne pouvais pas y penser parce que j’avais pas envie et je vois pas le rapport avec mes jambes. Et papa, quand je veux jouer avec lui et qu’il lit son journal, il me dit toujours :

– Va voir dehors si j’y suis.

C’est idiot parce que dehors, j’y suis allé et il y est pas alors que dedans, il y est. Même Véronique, qui est pourtant hyperforte à la Play Station, elle me dit toujours que mon nez il y va s’allonger si je dis des mensonges comme celui de Pinocchio. Mais en fait, c’est pas vrai parce que dans la salle de bains, je me suis enfermé. J’ai dit des mensonges et j’ai bien vu dans le miroir que mon nez, il ne bougeait pas. Mais je crois que Véronique dit ça parce qu’elle n’aime pas quand je dis pas la vérité. Moi aussi, j’aime pas quand on me cache les choses.

J’aime bien Véro et papa aussi il l’aime bien, c’est pour ça qu’ils sont ensemble. D’ailleurs, on vit tous ensemble dans l’appartement. Véronique, c’est comme ma seconde maman même si je ne lui dis pas « maman » parce que j’en ai déjà une mais, comme elle est là depuis toujours, ça revient au même. Sauf pour maman. Elle ne fait pas une tête avec un sourire quand je lui parle de Véronique et de ce qu’on fait tous les deux. Alors souvent, je ne lui raconte pas tout et elle oublie son air triste. J’aimerais bien qu’elle se remarie. Sauf si son nouveau mari, il fait comme papa qui passe son temps à travailler et qu’il n’est jamais là. Avant, papa, il n’avait pas autant de travail mais maintenant, il dit qu’il a des responsabilités et que faire des chaussures – il fait des baskets – ça se fait pas comme ça et qu’il faut bien gagner sa croûte alors, il part tôt et il rentre tard, où même dès fois pas du tout quand il est en voyage. C’est pour ça que ça fait trois week-ends d’affilée que je passe chez maman. D’habitude, je reste avec Véro mais là, elle a un séminaire, papa m’a dit.

Malgré son travail de monsieur super important qui fait des baskets, papa est quand même venu me chercher avec son air pressé où ça sert à rien de lui parler. Il répète en boucle « Super champion » pour faire croire qu’il m’écoute mais je lui parle quand même parce que j’ai plein de choses à raconter de mon week-end. Quand j’ai dit que maman allait se remarier, son « Super champion » s’est coincé dans sa gorge avant de marmonner qu’elle avait enfin réussi à se trouver une bonne poire. N’importe quoi j’ai répondu ! Maman n’achète plus de poires parce qu’elles sont toujours trop dures et qu’elle se fait à chaque fois avoir.

À la maison, Véronique n’avait pas l’air marrante et j’ai demandé pourquoi. Papa m’a dit que ça ne me regardait pas d’un air en colère. Décidément, lui non plus n’était pas drôle. Ils se faisaient la tête. Alors, je suis allé jouer dans ma chambre car c’est ce que j’ai de mieux à faire quand ils sont comme ça. Après, normalement, ça passe et au repas, tout est normal. Mais là, papa n’a pas attendu le dîner, il est parti travailler.

– Un dimanche soir ? J’ai demandé et Véro m’a serré dans ses bras très fort.

J’aime bien quand elle me fait un câlin, ce n’est pas comme papa qui dit que je suis trop grand pour ça. Après le câlin, on va dîner en amoureux avec des bougies qui coulent sur les doigts si on les touche et on va jouer à la Play Station. »

Extrait de la nouvelle « Pour ton bien »