Un peu de pluie et de soleil
de Marie Borrelli
« Bigorneau qu’elle s’appellera. Oh, c’est pas pour tout de suite, mais avec le bébé qui est en route, le mariage ne devrait plus tarder. L’important, c’est que le petiot ait un père et il en a un, puisque c’est mon fils. Après, le reste, mariage ou pas mariage, du moment qu’ils sont heureux, bien sûr, de mon temps, j’dis pas…
Camille en a assez bavé comme ça ! Elle est un peu comme ma fille, sauf que j’ai pas de fille. J’ai tout de suite vu qu’elle avait bon cœur.
Son vrai métier, c’est infirmière mais ça lui plaisait plus la ville, tout ça, le stress. Alors elle est devenue conductrice enfin, je sais pas si ça se dit. C’est elle qui est au volant du train des pignes. Les pignes, y’a bien longtemps qu’il y en a plus, tout brûle par chez nous, trop sec, alors pensez, les pins y sont partis les premiers… Je sais pas comment l’idée lui a traversé la tête. Conduire un train, ça doit sûrement moins payer que la médecine. Au moins, ici, elle a l’air pur et elle voit du paysage. Camille dit qu’à la montagne, les gens sont gentils.
À croire que mon gars, le Julien, aussi elle l’a trouvé gentil. Faut dire qu’il n’ouvre pas souvent la bouche, il n’est pas très contrariant. D’habitude, les femmes, ça les fait fuir de savoir qu’il garde les moutons. Camille, un berger, elle a trouvé ça rigolo. Y paraît qu’elle l’a embrassé quand il le lui a dit. Alors à deux, ils ont eu dans l’idée de reconstruire la ferme de l’oncle Bertrand, celui qui a eu le bras pris par la guerre. Elle est sur le chemin de Peyresc, la ferme, pas le bras.
Y’a pas de route qui mène à la ferme. Le train y passe devant, à deux kilomètres plus bas. Faut croire qu’ils étaient drôlement amoureux pour avoir cette idée de rebâtir. Julien, il y a passé tous ses week-ends et les hivers, il garde plus les moutons. L’hiver, il prête ses bras à droite et à gauche. Manque plus que le toit et leur nid d’amour soit fini.
Julien, y croyait que je savais pas pour ses amours, mais j’avais pas tôt fait de baisser la barrière – je suis garde barrière juste après Entrevaux – que je le voyais sauter par la fenêtre et courir jusqu’au caillou pour faire coucou à sa belle dans le train. Soi-disant qu’il la connaît à peine, en tout cas, le petiot, il y est pas venu tout seul dans le ventre. À moins qu’elle l’ait fait cocu, mais elle a pas la tête à ça, la petite Camille, elle est sérieuse. Bien gentille. Sûr qu’à mon époque, le curé aurait vite fait de nous marier.
J’ai bien cru qu’elle allait le perdre son petiot. Pensez, à trois mois, ça a vite fait de ressortir par où c’est venu. C’est qu’elle a eu peur et nous aussi. L’orage a éclaté à seize heures, y’a un arbre qui s’est abattu sur la ligne. Trois quarts d’heures pour le dégager ! Mais ça, c’était pas le plus terrible. Toute la nuit, que des torrents de boue. Même ma barrière a été emportée. »
Extrait de la nouvelle « Train de lune »